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Michel Pastoureau est un historien de l’art, spécialiste des couleurs. Je ne me souviens pas d’avoir porté de veste avant l’âge de 13 ans. Cette liberté prit fin au printemps 1960, lorsque je fus invité avec mes parents au mariage de l’ancienne préparatrice en pharmacie de ma mère, une jeune femme qui s’était beaucoup occupée de moi quand j’étais enfant et qui m’avait fait profiter d’un regard sur le monde et la société 5 différent de celui de ma famille. Il fut décidé que pour l’occasion on m’achèterait un pantalon gris et un blazer1 bleu marine. Je portais déjà des pantalons longs mais pas de veste ni de blazer. L’achat se fit dans un magasin de vêtements pour hommes, le plus grand de la ville de banlieue sud où nous habitions alors. J’entends encore la voix obséquieuse2 du vendeur soulignant ironiquement : « ce jeune homme est cambré ». Il voulait dire par là que j’avais 10 de grosses fesses pour mon âge. Le choix du pantalon se fit néanmoins sans problème. Il n’en alla pas de même du blazer, et j’en fus responsable. J’aurais préféré un blazer croisé, auquel je trouvais un petit air « amiral », voire « aviateur », mais l’odieux vendeur convainquit ma mère que j’étais trop grassouillet pour un tel vêtement. Ce serait donc un blazer droit, ce qui me déplaisait. Non pas tant à cause de la forme qu’en raison de la 15 couleur. J’avais en effet observé que dans ce magasin, pourtant bien fourni, les blazers droits pour adolescents étaient d’un bleu marine moins marine que les blazers croisés. A peine, certes, mais j’avais déjà le sens des couleurs et de leurs nuances et je sentais confusément qu’un bleu marine qui n’était pas très foncé n’était pas un vrai bleu marine. Plusieurs de mes camarades, appartenant à des familles plus bourgeoises que la mienne, 20 portaient déjà des blazers, et je savais que le bleu était différent de celui qui m’était proposé : plus sombre, plus dense, moins violacé ; pour tout dire, moins « vulgaire ». Les adolescents ont sur la vulgarité des idées qui leur sont propres. Ils seraient souvent bien en peine de les expliquer ou de les faire partager à des adultes, mais le vulgaire – leur vulgaire – a pour eux quelque chose d’absolument rédhibitoire3. C’était le cas de ce 25 « presque bleu marine », à mes yeux importable, hideux et probablement grossissant ! Essayage, refus, discussion, comparaison, réessayage, intervention d’un autre vendeur, puis du chef du rayon, personnage considérable qui à ma grande surprise soutint mon point de vue. Mais rien n’y fit : je n’obtins pas gain de cause. Un saut dans la rue, à la lumière du jour, convainquit ma mère que ce blazer droit était d’un bleu très acceptable, parfaitement classique, et que mes caprices chromatiques4 30 – qui n’étaient pas les premiers – n’avaient pas de raison d’être. Le vendeur ricanait. Le chef de rayon un peu moins, car les blazers croisés étaient vendus plus cher que les droits. Je dus donc revêtir ce maudit vêtement le jour du mariage et j’en ressentis une honte comme j’en ai rarement éprouvé. Aucun de mes camarades n’était présent, peu de gens me connaissaient, et personne évidemment ne 35 s’aperçut que ce bleu marine ne l’était pas tout à fait. Mais moi je le sentais, je le savais, et cet infime écart de nuance me bouleversait : j’imaginais tous les regards portés sur ce blazer odieux et méprisable. Michel Pastoureau, Les couleurs de nos souvenirs, éditions du Seuil, 2010.

Pourquoi se souvenir est-il important pour le narrateur ? vous expliquerai de manière développée votre point de vue.​


Répondre :

Le souvenir est important pour le narrateur car il lui permet de revivre des expériences passées, d'explorer ses émotions et de construire son identité. Dans le passage cité, le narrateur se souvient d'un événement précis de son enfance où il a été contraint de porter un blazer bleu marine qui ne correspondait pas exactement à la nuance de bleu qu'il désirait. Ce souvenir a laissé une empreinte émotionnelle profonde sur lui, suscitant des sentiments de honte et de frustration.

Le fait de se souvenir de cet épisode spécifique lui permet de se reconnecter à son enfance et à la façon dont il percevait le monde à l'époque. Il exprime sa sensibilité aux nuances de couleur, son souci du détail et son désir d'exprimer sa propre identité à travers ses choix vestimentaires. Ce souvenir révèle également les influences sociales et familiales qui ont façonné ses préférences et ses perceptions.

Les souvenirs peuvent également aider le narrateur à mieux comprendre qui il est aujourd'hui. En se replongeant dans son passé, il peut prendre conscience de ses valeurs, de ses motivations et de l'impact que les expériences passées ont eu sur sa personnalité et ses choix de vie. Dans ce cas précis, le narrateur se rappelle clairement son mécontentement face au blazer bleu marine et son désir d'être perçu comme différent de son environnement familial et social.

Enfin, se souvenir de moments vécus peut être une forme de catharsis. En exprimant ses émotions et en partageant ses souvenirs, le narrateur peut trouver une certaine libération et une compréhension plus profonde de lui-même. Le fait de raconter cette anecdote lui permet de mettre des mots sur ses sentiments et de les exorciser, même des décennies plus tard.

En somme, se souvenir est important pour le narrateur car cela lui permet de revivre des moments significatifs de son passé, de mieux se comprendre et de forger son identité. Les souvenirs sont des fragments de notre histoire personnelle qui contribuent à notre développement et à notre perception du monde.
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