Victor Hugo, L'Homme qui rit (1869), « Magister elegantiarum' »>. Il y avait le Fun Club. Fun est, comme cant, comme humour, un mot spécial intraduisible . Le fun est à la farce ce que le piment est au sel. Pénétrer dans une maison, y briser une glace de prix, y balafrer les portraits de famille, empoisonner le chien, mettre un chat dans la volière, cela s'appelle « tailler une pièce de fun. » Donner une fausse mauvaise nouvelle qui fait prendre aux personnes le deuil à tort, c'est du fun. C'est le fun qui a fait un trou carré dans un Holbein à Hampton-Court. Le fun serait fier si c'était lui qui avait cassé les bras à la Vénus de Milo. Sous Jacques II, un jeune lord millionnaire qui avait mis le feu la nuit à une chaumière fit rire Londres aux éclats et fut proclamé roi du fun, Les pauvres diables de la chaumière s'étaient sauvés en chemise. Les membres du Fun Club, tous de la plus haute aristocratie, couraient Londres à l'heure où les bourgeois dorment, arrachaient les gonds des volets, coupaient les tuyaux des pompes, défonçaient les citernes, décrochaient les enseignes, saccageaient les cultures, éteignaient les réverbères, sciaient les poutres d'étai des maisons, cassaient les carreaux des fenêtres, surtout dans les quartiers indigents. C'étaient les riches qui faisaient cela aux misérables. C'est pourquoi nulle plainte possible. D'ailleurs c'était de la comédie. Ces moeurs n'ont pas tout à fait disparu. Sur divers points de l'Angleterre ou des possessions anglaises, Guernesey par exemple, de temps en temps on vous dévaste un peu votre maison la nuit, on vous brise une clôture, ou vous arrache le marteau de votre porte, etc. Si c'étaient des pauvres, on les enverrait au bagne; mais ce sont d'aimables jeunes gens. Le plus distingué des clubs était présidé par un empereur qui portait un croissant sur le front et qui s'appelait « le grand Mohock ». Le mohock dépassait le fun. Faire le mal pour le mal, tel était le programme. Le Mohock Club avait ce but grandiose, nuire. Pour remplir cette fonction, tous les moyens étaient bons. En devenant mohock, on prêtait serment d'être nuisible. Nuire à tout prix, n'importe quand, à n'importe qui, et n'importe comment, était le devoir. Tout membre du Mohock Club devait avoir un talent. L'un était << maître de danse», c'est-à-dire faisait gambader les manants en leur lardant les mollets de son épée. D'autres savaient << faire suer », c'est-à-dire improviser autour d'un bélître quelconque une ronde de six ou huit gentilshommes la rapière à la main; étant entouré de toutes parts, il était impossible que le bélître ne tournât pas le dos à quelqu'un ; le gentilhomme à qui l'homme montrait le dos l'en châtiait par un coup de pointe qui le faisait pirouetter, un nouveau coup de pointe aux reins avertissait le quidam que quelqu'un de noble était derrière lui, et ainsi de suite, chacun piquant à son tour; quand l'homme, enfermé dans ce cercle d'épées, et tout ensanglanté, avait assez tourné et dansé, on le faisait bâtonner par des laquais pour changer le cours de ses idées. D'autres << tapaient le lion »>, c'est-à-dire arrêtaient en riant un passant, lui écrasaient le nez d'un coup de poing, et lui enfonçaient leurs deux pouces dans les deux yeux. Si les yeux étaient crevés, on les lui payait. C'étaient là, au commencement du dix-huitième siècle, les passe-temps des opulents oisifs de Londres. Les oisifs de Paris en avaient d'autres. M. de Charolais lâchait son coup de fusil à un bourgeois sur le seuil de sa porte. De tout temps la jeunesse s'est amusée. I Maître des élégances (en latin) 2 Hugo fait ici référence à un tableau peint par d'Holbein. 3 Les habitants de la chaumière 4 Ces habitudes 5 Mendiant, homme sans argent 6 Les riches qui ne travaillent pas
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