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Texte : Madame de LA FAYETTE, La Princesse de Clèves, 1678
Madame de Clèves s'est mariée jeune, sans éprouver d'inclination pour son époux. Elle fait la
rencontre du Duc de Nemours dont elle tombe éperdument amoureuse. Cette passion est
réciproque, mais aucun des deux protagonistes n'a réellement dévoilé ses sentiments à
l'autre.
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<< [...] Les femmes jugent d'ordinaire de la passion qu'on a pour elles,
continua-t-il, par le soin qu'on prend de leur plaire et de les chercher ; mais ce
n'est pas une chose difficile, pour peu qu'elles soient aimables; ce qui est
difficile, c'est de ne s'abandonner pas au plaisir de les suivre, c'est de les éviter,
par la peur de laisser paraître au public, et quasi à elles-mêmes, les sentiments
que l'on a pour elles. Et ce qui marque encore mieux un véritable attachement,
c'est de devenir entièrement opposé à ce que l'on était, et de n'avoir plus
d'ambition, ni de plaisir, après avoir été toute sa vie occupé de l'un et de l'autre.>>
Madame de Clèves entendait aisément la part qu'elle avait à ces paroles. Il
lui semblait qu'elle devait y répondre et ne les pas souffrir. Il lui semblait aussi
qu'elle ne devait pas les entendre, ni témoigner qu'elle les prît pour elle : elle
croyait devoir parler, et croyait ne devoir rien dire. Le discours de M. de
Nemours lui plaisait et l'offensait quasi également : elle y voyait la confirmation
de tout ce que lui avait fait penser madame la dauphine; elle y trouvait quelque
chose de galant et de respectueux, mais aussi quelque chose de hardi et de trop
intelligible. L'inclination qu'elle avait pour ce prince lui donnait un trouble dont
elle n'était pas maîtresse. Les paroles les plus obscures d'un homme qui plaît
donnent plus d'agitation que des déclarations ouvertes d'un homme qui ne plaît
pas. Elle demeurait donc sans répondre, et M. de Nemours se fût aperçu de son
silence, dont il n'aurait peut-être pas tiré de mauvais présage, si l'arrivée de M.
de Clèves n'eût fini la conversation et sa visite.
Ce prince venait conter à sa femme des nouvelles de Sancerre ; mais elle
n'avait pas une grande curiosité pour la suite de cette aventure. Elle était si
occupée de ce qui se venait de passer, qu'à peine pouvait-elle cacher la
distraction de son esprit. Quand elle fut en liberté de rêver, elle connut bien
qu'elle s'était trompée, lorsqu'elle avait cru n'avoir plus que de l'indifférence
pour M. de Nemours. Ce qu'il lui avait dit avait fait toute l'impression qu'il
pouvait souhaiter, et l'avait entièrement persuadée de sa passion.
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