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Bonjour j’ai un devoir à rendre pour le lundi 18 mars en français :

(La narratrice relate des épisodes d'un voyage effectué en Afrique du Nord, ici plus particulièrement en Algérie.)

FLEUR DU DÉSERT

Nous l'avions remarquée en entrant à Bou-Saâda, à l'heure où le coucher du soleil pose, sur la montagne la plus proche, une couleur d'un violet soudain, et sur la plus lointaine un rose aussi pâle que le rose d'un fer rouge en plein jour. La fatigue,l'admiration, trois cents kilomètres de désert déroulés à nos yeux ignorants, le sirocco, l'espace irisé derrière un rideau de sable suspendu, faisaient de nous des créatures éblouies et crédules. La même exclamation, jaillie de nos lèvres salées de poussière, saluait le crépuscule bref et la réverbération rose, arrachée par un ciel presque nocturne à des sables eux-mêmes rosés et plus lumineux que lui, les fusées de lauriers en fleurs, le vert ardent de la palmeraie et la forme rafraîchissante, en jet d'eau épanoui, des palmiers, le vol empêtré et puissant d'un charognard énorme, le fil d'une source hors d'un mont calciné, la gaze, comme scintillante d'eau, d'une sauterelle à envergure d'hirondelle...

La petite fille que nous avions remarquée se tenait assise contre un mur éboulé d'argile crue, quelques cubes moulés à la main, à demi effrités et fondus, ce qui demeure d'un logis indigène après une courte pluie et une longue sécheresse. Elle pouvait compter cinq ans d'âge, et resplendissait de coquetterie mélancolique. Ses chevilles de biche, croisées, jouaient dans des khalkhals d'argent grossier ; à ses bras tintaient des fils tors de métal, et nous touchâmes, avec une curiosité de barbares, ses petits pieds encroûtés de la vase du ruisseau, ses mains précieuses jamais lavées, brunies de henné. Elle avait de grands sourcils démesurés, peints en noir vif sur son front, une bouche fière aux commissures charnues, bien endentée, et des yeux sans âge, langoureux entre les cils épaissis de fard. Une étoile bleue marquait chaque ronde pommette, une flèche bleue divisait le menton. Des signes bleus, groupés, prolongeaient entre les yeux la ligne des sourcils. Un haillon rougeâtre, tordu sur les cheveux, laissait voir deux minuscules tresses poussiéreuses, arrondies sur l'oreille en cornes de bélier; d'autres lambeaux de cotonnade livraient aux regards ici un genou délié, là un flanc creux de petit lévrier. Le talus éboulé imitait exactement le ton de sa peau, un jaune clair mystérieusement mêlé de rose, et la petite fille immobile semblait née l'instant d'avant, fraîchement pétrie d'argile blonde, modelée d'une poignée de désert.

Elle tendit une main, quémanda d'une voix aiguë, en arabe. La monnaie nous manquait, pourtant Daurces retrouva une pièce de vingt-cinq centimes, non trouée, sur laquelle se refermèrent les doigts teints de henné.

– Saha ! Saha !

Sur ce remerciement la fillette bondit et courut, levant sur ses talons deux ailes de poussière ensoleillée. Elle se retourna une seule fois, pour remercier de la main, avec une grâce impérieuse.

Le lendemain, dans le jardin du Petit-Sahara, nous attendions le repas, creusés et défaits par les promenades obligatoires à la pauvre mosquée, à la rivière fétide et fleurie où les hommes lavent le linge en amont, les femmes en aval des hommes, les juifs en aval des femmes ; aux façonniers de chaussures hautes, dont la tige brodée de laine étreint la jambe ; à Ben-Grada qui vend des tapis, des bracelets, des nerfs de bœufs gainés de cuir orange, mais qui donne ses fleurs, ses cigarettes parfumées et son café dans des coquilles de porcelaine ; à Zorah qui danse nue mais ne quitte ni ses voiles de tête si ses joyaux…

Une petite main brune passa entre les barreaux de la grille et tendit vers nous une pièce de vingt-cinq centimes non trouée. Une voix enfantine glouglouta de l’arbre, les yeux et les dents de la fillette au : Saha ! Saha ! étincelaient de l’autre côté de la clôture…

- Oh ! C’est la même charmante petite ! Que veux-tu ? Ahmed, guide en burnous. Elle veut une monnaie du pays.

- C’est trop juste, dit Daurces.

Il reprit la pièce et donna à la fleur du désert un beau jeton d’Alger, large comme un souci, frappé des deux palmiers, un jeton neuf de deux sous, fait pour éblouir une enfant sauvage.

Les petits doigts colorés ne se refermèrent pas sur le jeton, et Saha, Saha fit entendre derechef son roucoulement de gorge…

- Que c’est joli, cette chanson de ramier un peu enroué ! Non, Ahmed ne la chasse pas, laisse, que nous l’écoutions… Qu’est-ce qu’elle dit ? C’est un remerciement ?

- Elle dit, expliqua placidement Ahmed, qu’il lui revient encore trois sous…

Colette, Prisons et paradis, 1932.

Sujet:
Vous ferez le commentaire de ce texte en vous inspirant du parcours de lecture suivant :
- Vous vous intéresserez tout d’abord à l’aspect idyllique du monde découvert.
- Vous montrerez ensuite que, malgré tout, le texte comporte une dimension réaliste et satirique.