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Etant le temps venu, Mademoiselle, que les sévères lois des hommes n'empêchent plus les
femmes de
s'appliquer
aux sciences et disciplines, il me semble que celles qui ont la
commodité, doivent employer cette honnête liberté
que notre sexe a autrefois tant désirée,
à apprendre celles-ci et montrer aux hommes le
tort qu'ils nous faisaient
en nous privant du
bien et de l'honneur qui nous
en pouvait venir: et si
quelqu'une parvient
en tel degré que de
pouvoir
mettre
ses
conceptions par écrit, le faire soigneusement
et non dédaigner
la gloire
,
et s'en
parer
plutôt que de chaînes, anneaux et somptueux
habits, lesquels nous
ne
pouvons vraiment estimer nôtres
que par usage. Mais
l'honneur que la science
nous
procurera sera entièrement nôtre, et ne nous pourra être ôté, ni par
finesse de larron, ni par
force d'ennemis,
ni longueur du temps. Si j'eusse été tant
favorisée des cieux, que d'avoir
l'esprit grand assez pour
comprendre ce dont il a eu envie, je
servirais en cet endroit plus
d'exemple que d'admonition
. Mais ayant passé partie de ma jeunesse à l'exercice
de la
musique, et ce qui m'a resté
de temps l'ayant trouvé trop court pour la rudesse
de mon
entendement, et ne pouvant de
moi-même satisfaire au bon vouloir que je porte à notre
sexe, de le vouloir non en beauté seulement
, mais en science et en vertu passer ou égaler les
hommes, je ne puis faire autre chose que prier
les vertueuses dames d'élever un peu leurs
esprits par-dessus leurs quenouilles et fuseaux, et
s'employer à faire comprendre au monde
que si nous ne sommes faites pour commander,
si ne devons-nous être dédaignées pour
campagnes tant dans les affaires domestiques que publiques
, de ceux qui gouvernent et se
faire obéir. Et outre la réputation que notre sexe en recevra, nous
aurons valu au public, que
les hommes mettront plus de peine et d'étude aux sciences vertueuses
, de peur qu'ils
n'aient honte de se voir précédés par celles desquelles ils ont prétendu
être toujours
supérieurs quasi en tout.
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Louise Labé, Œuvre, « Epitre dédicatoire à Mademoiselle Clémence de Bourges,
Lyonnaise »> (1555)
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