Je pris mon bougeoir et je me retiral, tant j'étais impatient de jouir de ma nouvelle demeure.
En me déshabillant, il me sembla que les yeux d'Omphale avalent remué; je regardal plus
attentivement, non sans un léger sentiment de frayeur, car la chambre était grande, et la faible pénombre
lumineuse qui flottalt autour de la bougle ne servait qu'à rendre les ténèbres plus plus visibles. Je crus voir
5 qu'elle avait la tête tournée en sens inverse. La peur commençait à me travailler sérieusement; je soufflal
la lumière. Je me tournal du côté du mur, [...] et je finis par m'endormir. Je fus plusieurs jours sans oser
jeter les yeux sur la maudite tapisserie. [...]
10
Un soir, pourtant, je m'aguerris au point de jeter un coup d'oeil sur la belle maîtresse d'Hercule;
elle me regardait de l'air le plus triste et le plus langoureux du monde.
Cette fois-là j'enfonçal mon bonnet jusque sur mes épaules et je fourral ma tête sous le traversin.
Je fis cette nuit-là un rêve singuller, si toutefois c'était un rêve. [...]
La lune donnalt sur les carreaux et projetalt dans la chambre sa lueur bleue et blafarde³. De
grandes ombres, des formes bizarres, se dessinaient sur le plancher et sur les murailles. La pendule sonna
un quart; la vibration fut longue à s'éteindre; on aurait dit un soupir. Les pulsations du balancier, qu'on
15 entendait parfaitement, ressemblaient à s'y méprendre à une personne émue.
20
Je n'étais rien moins qu'à mon alse et je ne savais trop que penser.
Un furieux coup de vent fit battre les volets et ployer le vitrage de la fenêtre. Les bolseries
craquèrent, la tapisserie ondula. Je me hasardal à regarder du côté d'Omphale, soupçonnant confusément
qu'elle était pour quelque chose dans tout cela. Je ne m'étais pas trompé.
La tapisserie s'agita violemment. Omphale se détacha du mur et sauta légèrement sur le parquet.