5 Que faut-il donc penser de cette éducation barbare qui sacrifice le présent à un avenir incertain, qui charge un enfant de chaînes de toute espèce, et commence par le rendre misérable, pour lui préparer au loin je ne sais quel prétendu bonheur dont il est à croire qu'il ne jouira jamais? Quand je supposerais cette éducation raisonnable dans son objet, comment voir sans bindignation de pauvres infortunés soumis à un joug insupportable et condamnés à des travaux continuels comme des galériens, sans être assuré que tant de soins Q-leur seront jamais utiles ! L'âge de la gaieté se passe au milieu des pleurs, des 9 châtiments, des menaces, de l'esclavage. On tourmente le malheureux pour son (o bien; et l'on ne voit pas la mort qu'on appelle et qui va le saisir au milieu de ce 4 triste appareil. Qui sait combien d'enfants périssent victimes de l'extravagance 12 sagesse d'un père ou d'un maître? Heureux d'échapper à sa cruauté, le seul Ab avantage qu'ils tirent des maux qu'il leur a fait souffrir est de mourir sans Ah regretter la vie, dont ils n'ont connu que les tourments. 15 Hommes, soyez humains, c'est votre premier devoir; soyez-le pour tous (les Etats, pour tous les âges, pour tout ce qui n'est pas étranger à l'homme. 1 Quelle sagesse y a-t-il pour vous hors de l'humanité? Aimez l'enfance; (favorisez ses Jeux, ses plaisirs, son aimable instinct. Qui de vous n'a pas regretté (quelquefois cet âge où le rire est toujours sur les lèvres, et où l'âme est toujours 20 en paix ? Pourquoi voulez vous remplir d'amertume et de douleurs ces premiers 124 ans si rapides, qui ne reviendront pas plus pour eux qu'ils ne peuvent revenir 22 pour vous ? Pères, savez-vous le moment où la mort attend vos enfants? Ne 23 vous préparez pas de regrets en leur ôtant le peu d'instants que la nature leur 24 donne: aussitôt qu'ils peuvent sentir le plaisir d'être, faites qu'ils en jouissent, 2 faites qu'à quelque heure que Dieu les appelle, ils ne meurent point sans avoir 26 goûté la vie. 361 must JEAN JACQUES ROUSSEAU, Emile ou De l'éducation, Livre II ​