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Consigne : le texte compte 600 mots. Vous effectuerez une contraction au quart, soit 150
mots. Avec la marge de tolérance, votre texte comptera entre 135 et 165 mots.

Dans ce tajine ou ce poulet à l'estragon que nous prenons tant de plaisir à cuisiner le dimanche
midi, dans ces odeurs et ces saveurs, nous renouons avec notre enfance,
avec notre grand-mère qui
savait si bien le préparer.
Dans notre rapport au travail, notre perfectionnisme parfois excessif, nous redevenons
l'adolescent que nous avons été, craignant les reproches d'un père ou d'un professeur
autoritaire.
Dans notre manière d'aimer, d'y croire coûte que coûte, nous faisons vivre l'idéalisme de notre
mère, ce que nous avons vu de l'amour avec nos yeux d'enfant.
Dans les valeurs en lesquelles nous croyons, dans ce qui nous importe plus que tout, persiste
la marque de notre milieu social, de notre éducation, de nos rencontres les plus décisives.
Même dans notre contemplation, nous ne sommes pas simplement dans l'instant présent : ce
paysage qui nous touche en plein cœur et qui, par quelque sortilège, nous réconcilie avec le monde,
cette lumière d'un soir d'été que nous aimons tant retrouver, ce vin qui nous fait voyager
à
la
première gorgée, nous avons appris à les aimer, à en goûter la beauté, la puissance.
Tout ce que nous sommes, nos qualités comme nos defauts, nos goûts et nos dégoûts, nos
rêves et ambitions, mais aussi nos peurs, nos angoisses, nos joies comme nos peines, nos réactions,
notre vision du monde, et bien sûr, nos habitudes tout cela procède de notre passé. Et en tout cela,
notre passé est présent. On le croyait devant nous: il ne cesse de nous faire signe.
Ce passé qui ne passe pas résiste plus encore au cœur de nos regrets, de nos remords, dans le
souvenir de nos ratés, ces moments qui nous ont marqués au fer rouge et se rappellent à notre
mémoire chaque fois que le doute nous étreint. Il est là aussi, quoiqu'un peu plus discret, dans le
souvenir des jolies choses, de nos premiers émois, de nos découvertes les plus marquantes, de nos
succès.
Heureux ou malheureux, notre passé ne cesse de revenir. Il s'invite parfois dans notre présent
de manière inopinée, au travail, dans la rue, à la maison, inattendu, rappelé par une sensation
fugace. Qu'on s'y attarde un peu, et voilà qu'il surgit des limbes de notre histoire, emportant avec lui
une ribambelle de souvenirs qui nous plongent dans une douce nostalgie ou l'amertume de la
mélancolie. Parfois aussi, il nous prend d'assaut, brutal, intense, flash aveuglant d'un traumatisme
ancien qui nous fait vaciller, trop souvent au plus mauvais moment. Ce souvenir malheureux,
douloureux, cette blessure que nous préférerions oublier, nous revient inlassablement et il nous
semble alors que nous n'aurons jamais fini de revivre cette scène. Nous voudrions nous libérer du
passé malheureux et faire revenir les jours heureux, mais nous échouons le plus souvent à l'un
comme à l'autre. Plus nous voulons oublier, plus nous donnons de force aux souvenirs qui nous
meurtrissent. Plus nous voulons raviver les joies passées plus la nostalgie se fait amère. Étrange
passé, irréversible mais qui pourtant ne cesse de hanter notre présent. Comme le visage de nos
morts lorsqu'ils nous rendent visite.
L'erreur serait de penser que l'hier n'appartient qu'au passé en réalité le passé ne passe pas ;
nous sommes faits de passé bien plus que de présent. Chaque instant vécu s'empresse de rejoindre le
passé, qui ne cesse d'enfler, comme une voile en vent arrière. Dans le présent, nous ne faisons
jamais que passer; plus nous avançons dans l'existence, plus nous sommes riches de vécu. Il est
donc essentiel d'apprendre à bien vivre avec notre passé, de trouver la bonne distance avec lui.
Charles Pépin, Vivre avec son passé, 2023, éditions Allary



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