Je regagnai ma chambre et j'y restal jusqu'à midi. Alors je sortis et demandai
des nouvelles de mes hôtes. Ils étaient un peu plus calmes. Mille de Puygarrig, je devrais
dire la veuve de M. Alphonse, avalt repris connaissance. Elle avait même parlé au
procureur du roi de Perpignan alors en tournée à ille, et ce magistrat avait reçu sa
déposition. Il me demanda la mienne. Je lui dis ce que je savais, et ne lui cachai pas mes
soupçons contre le muletier aragonais. Il ordonna qu'il füt arrêté sur-le-champ.
Avez-vous appris quelque chose de Mme Alphonse? demandal-je au
procureur du roi, lorsque ma déposition fut écrite et signée.
-Cette malheureuse jeune personne est devenue folle, me dit-il en souriant tristement.
Folle I tout à fait folle. Voici ce qu'elle conte:
Elle était couchée, dit-elle, depuis quelques minutes, les rideaux tirés, lorsque la porte de
sa chambre s'ouvrit, et quelqu'un entra. Alors, Mme Alphonse était dans la ruelle du lit, la
figure tournée vers la muraille. Elle ne fit pas un mouvement, persuadée que c'était son
mari. Au bout d'un instant, le lit cria comme s'il était chargé d'un poids énorme. Elle eut
grand peur, mais n'osa pas tourner la tête. Cinq minutes, dix minutes peut-être... elle ne
peut se rendre compte du temps, se passèrent de la sorte. Puis elle fit un mouvement
involontaire, ou bien la personne qui était dans le lit en fit un, et elle sentit le contact de
quelque chose de froid comme la glace, ce sont ses expressions. Elle s'enfonça dans la
ruelle tremblant de tous ses membres. Peu après, la porte s'ouvrit une seconde fois, et
quelqu'un entra qui dit: Bonsoir, ma petite femme». Bientôt après on tira les rideaux
Elle entendit un cri étouffé. La personne qui était dans le lit, à côté d'elle, se leva sur son
séant et parut étendre les bras en avant. Elle tourna la tête alors... et vit, dit-elle, son mari
à genoux auprès du lit, la tête à la hauteur de l'oreiller, entre les bras d'une espèce de
géant verdâtre qui l'étreignait avec force. Elle dit, et m'a répété vingt fois, pauvre
femme L.. elle dit qu'elle a reconnu.... devinez-vous ? La Vénus de bronze, la statue de M.
de Peyrehorade... Depuis qu'elle est dans le pays, tout le monde en rêve. Mais je
reprends le récit de la malheureuse folle. À ce spectacle, elle perdit connaissance, et
probablement depuis quelques instants elle avait perdu la raison. Elle ne peut en aucune
façon dire combien de temps elle demeura évanouie. Revenue à elle, elle revit le
fantôme, ou la statue, comme elle dit toujours, immobile, les jambes et le bas du corps
dans le lit, le buste et les bras étendus en avant, et entre ses bras son mari, sans
mouvement. Un coq chanta. Alors la statue sortie du lit, laissa tomber le cadavre et sortit.
Mme Alphonse se pendit à la sonnette, et vous savez le reste."
On amena l'Espagnol; il était calme, et se défendit avec beaucoup de sang-
froid et de présence d'esprit. Du reste, il ne nia pas le propos que j'avais entendu; mais il
l'expliquait, prétendant qu'il n'avait voulu dire autre chose, sinon que le lendemain,
reposé qu'il serait, il aurait gagné une partie de paume à son vainqueur. Je me rappelle
qu'il ajouta:
"Un Aragonais, lorsqu'il est outragé, n'attend pas au lendemain pour se
venger. Si j'avais cru que M. Alphonse eut voulu m'insulter, je lui aurais sur-le-champ
donné de mon couteau dans le ventre."
On compara ses souliers avec les empreintes de pas dans le jardin; ses
souliers étaient beaucoup plus grands.
Enfin l'hôtelier chez qui cet homme était logé assura qu'il avait passé toute la nuit à
frotter et à médicamenter un des ses mulets qui était malade.
D'ailleurs cet Aragonais était un homme bien famé, fort connu dans le pays,
où il venait tous les ans pour son commerce. On le relâcha donc en lui faisant des
excuses.
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