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CHAPITRE XXII
Comment Gargantua fut éduqué par Ponocrates
selon une méthode telle qu'il ne perdait pas une heure de la journée.
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Quand Ponocrates eut pris connaissance du vicieux mode de vie de Gargantua, il décida de lui
inculquer les belles-lettres d'une autre manière, mais pour les premiers jours il ferma les yeux,
considérant que la nature ne subit pas sans grande violence des mutations soudaines.
Aussi, pour mieux commencer sa tâche, pria-t-il instamment un docte médecin de ce temps-là,
nommé Maître Théodore, de considérer s'il était possible de remettre Gargantua en meilleure
voie. Celui-là le purgea en règle avec de l'ellébore d'Anticyre et, grâce à ce médicament, il lui
nettoya le cerveau de toute corruption et de toute vicieuse habitude. Par ce biais, Ponocrates
lui fit aussi oublier tout ce qu'il avait appris avec ses anciens précepteurs, comme faisait
Timothée avec ceux de ses disciples qui avaient été formés par d'autres musiciens.
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Pour parfaire le traitement, il l'introduisait dans les cénacles de gens de science du voisinage;
par émulation, il se développa l'esprit et le désir lui vint d'étudier selon d'autres méthodes et
de se mettre en valeur.
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Ensuite, il le soumit à un rythme de travail tel qu'il ne perdait pas une heure de la journée,
mais consacrait au contraire tout son temps aux lettres et aux études libérales. Gargantua
s'éveillait donc vers quatre heures du matin. Pendant qu'on le frictionnait, on lui lisait quelque
page des saintes Ecritures, à voix haute et claire, avec la prononciation requise. Cet office
était dévolu à un jeune page natif de Basché, nommé Agnostes. Suivant le thème et le sujet du
passage, bien souvent, il s'appliquait à révérer, adorer, prier et supplier le bon Dieu dont la
majesté et les merveilleux jugements apparaissaient à la lecture.
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Puis il allait aux lieux secrets excréter le produit des digestions naturelles. Là, son précepteur
répétait ce qu'on avait lu et lui expliquait les passages les plus obscurs et les plus difficiles.
En revenant, ils considéraient l'état du ciel, regardant s'il était comme ils l'avaient remarqué la
veille au soir et en quels signes entrait le soleil, et aussi la lune, ce jour-là.
Cela fait, il était habillé, peigné, coiffé, apprêté et parfumé et, pendant ce temps, on lui
répétait les leçons de la veille. Lui-même les récitait par coeur et y appliquait des exemples
pratiques concernant la condition humaine; ils poursuivaient quelquefois ce propos pendant
deux ou trois heures, mais d'habitude ils s'arrêtaient quand il était complètement habillé.
Ensuite, pendant trois bonnes heures, on lui faisait la lecture. Cela fait, ils sortaient, toujours
en discutant du sujet de la lecture, et allaient faire du sport au Grand Braque ou dans les prés;
ils jouaient à la balle, à la paume, au ballon à trois, s'exerçant élégamment les corps, comme
ils s'étaient auparavant exercé les âmes.


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