Texte ANGÉLIQUE Des documents de police du début du xvi s., découverts dans une bibliothèque, permet- tent au narrateur de reconstituer une affaire criminelle. L'action représente une de ces terribles scènes de famille qui se passent au chevet des morts. - dans ce moment si bien rendu jadis sur une scène des boule- vards, où l'héritier, quittant son masque de com- 5 ponction et de tristesse, se lève fièrement et dit aux gens de la maison : « Les clefs ? > Ici nous avons deux héritiers après la mort de Binet de Villiers : son frèr Binet de Basse-Maison, léga- taire universel, et son beau-frère Le Pileur. Deux procureurs, celui du défunt et celui de Le Pileur, travaillaient à l'inventaire, assistés d'un notaire et d'un clerc. Le Pileur se plaignit de ce qu'on n'avait pas inventorié un certain nombre de papiers que Binet de Basse-Maison déclarait de peu d'im- 15 portance. Ce demier dit à Le Pileur qu'il ne devait pas soulever de mauvais incidents et pouvait s'en rapporter à ce que dirait Châtelain, son procureur. Mais Le Pileur répondit qu'il n'avait que faire de consulter son procureur; qu'il savait ce qui était à 20 faire, et que s'il formait de mauvais incidents, il était assez gros seigneur pour les soutenir. Basse-Maison, irrité de ce discours, s'approcha de Le Pileur et lui dit, en le prenant par les deux bou- tonnières du haut de son justaucorps, qu'il l'en 25 empécherait bien; - Le Pileur mit l'épée à la main, Basse-Maison en fit autant... Ils se portèrent d'abord quelques coups d'épée sans beaucoup s'approchet. La dame Le Pileur se jeta entre son mari et son frère ; les assistants s'en mêlèrent et l'on parvint à les pous- 30 ser chacun dans une chambre différente, que l'on ferma à clef. Un moment après l'on entendit s'ouvrir une fenétre, c'était Le Pileur qui criait à ses gens restés dans la cour d'aller quérir ses deux neveux ». [...] On refusait de leur dire. quand Le Pileur cria de sa chambre : « À moi, mes neveux ! > Les neveux avaient déjà enfoncé la porte de la chambre de gauche, et accablaient de coups de plat de sabre l'infortuné Binet de Basse-Maison, lequel 40 était, selon le rapport, hasthmatique ». C Le notaire, qui s'appelait Dionis, crut alors que la colère de Le Pileur serait satisfaite et qu'il arrêterait ses neveux; - il ouvrit donc la porte et lui fit ses remontrances. À peine dehors, Le Pileur s'écria : < On 45 vá voir beau jeu ! » En arrivant derrière ses neveux, qui battaient toujours Basse-Maison, il lui porta un coup d'épée dans le ventre. [...] Aucun [témoin] ne rapporte qu'il soit absolu- ment certain que Le Pileur ait donné le coup d'épée. Le premier procureur dit qu'il n'est sûr que d'avoir entendu de loin les coups de plat de sabre. 35 50 Le second dépose comme son confrère. Un laquais nommé Barry s'avance davantage : - ll a vu le meurtre de loin par une fenêtre, mais il ne sait 55 si c'était Le Pileur ou un habillé de gris blanc qui a donné à Basse-Maison un coup d'épée dans le ventre. Louis Calot, autre laquais, dépose à peu près de même. Le demier de ces treize braves, qui est le moins considérable, le clerc du notaire, a veu la dame Le 60 Pileur faire main basse sur plusieurs des papiers du défunt. I! a ajouté qu'après la scène, Le Pileur est venu tranquillement chercher sa femme dans la salle où elle était, et « qu'il s'en alla dans son carrosse avec elle et les deux hommes qui avaient fait la vio- 65 lence ». GERARD DE NERVAL, Les Filies du feu, Angélique », 1854.
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