A. Texte littéraire
La promesse de l'aube est un roman autobiographique. Dans cet extrait, Romain
Gary évoque un souvenir d'enfance.
- Tu as écrit, aujourd'hui ?
Depuis plus d'un an, « j'écrivais »>. J'avais déjà noirci de mes poèmes plusieurs
cahiers d'écolier. Pour me donner l'illusion d'être publié, je les recopiais lettre par
lettre en caractères d'imprimerie.
- Oui. J'ai commencé un grand poème philosophique sur la réincarnation et la
migration des âmes.
Elle fit « bien >> de la tête.
- Et au lycée ?
- J'ai eu un zéro en math.
Ma mère réfléchit.
- Ils ne te comprennent pas, dit-elle.
J'étais assez de son avis. [...]
- Ils le regretteront, dit ma mère. Ils seront confondus. Ton nom sera un jour gravé
en lettres d'or sur les murs du lycée. Je vais aller les voir demain et leur dire...
Je frémis.
- Maman, je te le défends ! Tu vas encore me ridiculiser.
- Je vais leur lire tes derniers poèmes. J'ai été une grande actrice, je sais dire des
vers. Tu seras d'Annunzio I Tu seras Victor Hugo², Prix Nobel³ I
- Maman, je te défends d'aller leur parler.
Elle ne m'écoutait pas. Son regard se perdit dans l'espace et un sourire heureux vint
à ses lèvres, naïf et confiant à la fois, comme si ses yeux, perçant les brumes de
l'avenir, avaient soudain vu son fils, à l'âge d'homme, monter lentement les marches
du Panthéon, en grande tenue, couvert de gloire, de succès et d'honneurs.
- Tu auras toutes les femmes à tes pieds, conclut-elle catégoriquement, en balayant
le ciel de sa cigarette.
5
Le midi cinquante de Vintimille passa dans un nuage de fumée. Aux fenêtres, les
voyageurs devaient se demander ce que cette dame aux cheveux gris et cet enfant
triste [...] pouvaient bien regarder dans le ciel avec tant d'attention.
Ma mère parut soudain préoccupée.
- Il faut trouver un pseudonyme, dit-elle avec fermeté. Un grand écrivain français ne
peut pas porter un nom russe. Si tu étais un virtuose violoniste, ce serait très bien,
mais pour un titan' de la littérature française, ça ne va pas...
Le « titan de la littérature française » approuva cette fois entièrement. Depuis six
mois, je passais des heures entières chaque jour à « essayer » des pseudonymes.
Je les calligraphiais à l'encre rouge dans un cahier spécial. Ce matin même, j'avais
fixé mon choix sur « Hubert de la Vallée », mais une demi-heure plus tard je cédais
au charme nostalgique de « Romain de Roncevaux »>. Mon vrai prénom, Romain, me
paraissait assez satisfaisant. Malheureusement, il y avait déjà Romain Rolland, et je
n'étais disposé à partager ma gloire avec personne. Tout cela était bien difficile.
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