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Texte 1: A l'ouest, rien de nouveau, Erich Maria Remarque, 1929
Le narrateur, un jeune soldat allemand, vient de poignarder un soldat français qui
s'était réfugié dans le même trou d'obus que lui. L'homme agonise toute la nuit et
meurt. Pris de remords, le narrateur s'adresse à sa victime.
Ja e parle, il faut que je parle. C'est pourquoi je m'adresse à lui, en lui
disant : «
cama-
Camarade, je ne voulais pas te tuer. [...] Nous voyons les
choses toujours trop tard. Pourquoi ne nous dit-on pas sans cesse que vous
êtes, vous aussi, de pauvres chiens comme nous, que vos mères se tour-
5 mentent comme les nôtres et que nous avons tous la même peur de la mort,
la même façon de mourir et les mêmes souffrances? Pardonne-r
rade; comment as-tu pu être mon ennemi ? Si nous jetions ces armes et
cet uniforme tu pourrais être mon frère, tout comme Kat et Albert¹. Prends
vingt ans de ma vie, camarade, et lève-toi... Prends-en davantage, car je ne
10 sais pas ce que, désormais, j'en ferai encore. »>
Tout est calme. Le front est tranquille, à l'exception du crépitement des
fusils. Les balles se suivent de près; on ne tire pas n'importe comment; au
contraire, on vise soigneusement de tous les côtés. Je ne puis pas quitter
mon abri.
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« J'écrirai à ta femme, dis-je hâtivement au mort. Je veux lui écrire ;
c'est moi qui lui apprendrai la nouvelle; je veux tout lui dire, de ce que je
te dis; il ne faut pas qu'elle souffre ; je l'aiderai, et tes parents aussi, ainsi
que ton enfant... >>
Son uniforme est encore entrouvert. Il est facile de trouver le portefeuille.
20 Mais j'hésite à l'ouvrir. Il y a là son livret militaire avec son nom. Tant que
j'ignore son nom, je pourrai peut-être encore l'oublier; le temps effacera
cette image. Mais son nom est un clou qui s'enfoncera en moi et que je ne
pourrai plus arracher. Il a cette force de tout rappeler, en tout temps ; cette
scène pourra toujours se reproduire et se présenter devant moi.
Sans savoir que faire, je tiens dans ma main le portefeuille. Il m'échappe
et s'ouvre. Il en tombe des portraits et des lettres. Je les ramasse pour les
remettre en place ; mais la dépression que je subis, toute cette situation
incertaine, la faim, le danger, ces heures passées avec le mort ont fait de
moi un désespéré ; je veux hâter le dénouement, accroître la torture, pour
30 y mettre fin, de même que l'on fracasse contre un arbre une main dont la
douleur est insupportable, sans se soucier de ce qui arrivera ensuite.
Ce sont les portraits d'une femme et d'une petite fille, de menues photo-
graphies d'amateur² prises devant un mur de lierre. À côté d'elles il y a des
lettres. Je les sors et j'essaie de les lire. Je ne comprends pas la plupart des
35 choses; c'est difficile à déchiffrer et je ne connais qu'un peu de français.
Mais chaque mot que je traduis me pénètre, comme un coup de feu dans la
poitrine, comme un coup de poignard au cœur...
Erich Maria Remarque, À l'Ouest rien de nouveau Ⓒ1929, 2009, Stock pour la traduction française.
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