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Bonjour, j'aurai besoin d'aide pour faire une contraction, voici le texte:

Autrefois, lorsque l'on voyageait, on allait vers l'inconnu, ou tout au moins vers le jamais-vu. L'expérience était aventureuse, pleine de surprises, et pour ces raisons et bien d'autres plus prégnantes peu commune. La démocratisation du voyage, le développement du tourisme lié à l'instauration et à la généralisation des vacances changent radicalement cette situation. Le prodigieux développement de la pratique photographique modifie très profondément le voyage, mais également le monde dans lequel se déplace le voyageur. Pourquoi tant de photographies de voyage? Pourquoi cela devient-il pratiquement un «must» (2), comme le voyage lui-même, d'ailleurs? Pourquoi sommes-nous à tel point obsédés par la «mise en boîte» de nos expériences? N'aurions-nous pas oublié qu'il faut réserver une part à la disparition, au fugitif, pour pouvoir mieux redécouvrir, et se ressouvenir? Enfin le viseur n'empêche-t-il pas tout simplement, dans une certaine mesure, de voir? La prise de vues de voyage peut apparaître comme une pratique photographique exemplaire. Cette dernière est en effet le plus fréquemment liée à l'extra quotidien. L'inhabituel, le rare méritent davantage d'être consignés, retenus, fixés, d'autant plus qu'interviennent ici, souvent, des satisfactions de prestige social et de valorisation personnelle. Soumis à des contraintes sévères de temps, de dépense, d'effort, etc., de plus éphémère et non reproductible, le voyage nécessite d'autant plus d'être matériellement conservé. La photo est un morceau de temps fixé, en opposition avec le temps du voyage qui s'écoule, irrémédiablement; elle recherche une sorte de victoire sur cette disparition. Intervient aussi le sentiment de l'appropriation de ce que l'on voit, de ce que l'on vit : sécurisation face à l'inconnu, à l'étranger auxquels le voyageur est confronté. Ce qui séduit le photographe, c'est la fierté de montrer de belles choses vues, ou de se montrer soi-même grandi devant des sites ou des monuments exceptionnels; c'est, également, l'attrait du souvenir qu'il reste une trace du voyage. Rapporter quelque chose devient une habitude, presque un devoir. Dans le même sens, s'il prend des photos (ce qui est fréquent) pour ainsi dire identiques aux cartes postales qu'il peut trouver sur place, ou aux images qu'il a pu voir dans des livres, c'est pour prouver qu'il y est allé en personne. Pascal, déjà, avait évoqué cet utilitarisme du voyage: «Le plus souvent, on ne veut savoir que pour en parler. Autrement on ne voyagerait pas sur la mer, pour ne jamais en rien dire, et pour le seul plaisir de voir, sans espérance d'en jamais communiquer». Les raisons de photographier en voyage ne manquent pas. Mais tout cela n'est pas sans l'influencer, très profondément, on pourrait dire, même, sans l'altérer. Au commencement, la photographie elle-même permettait de faire connaître du jamais-vu, qui diminue au fur et à mesure de la généralisation des images. Le Kodak n° 1, dès la fin du siècle passé, met d'ailleurs la photographie à la portée de tous.

«Appuyez sur le bouton...», on connaît la formule; c'est bien, en effet, une photographie presse-bouton qui est inaugurée. Ce déferlement de photographes, la frénésie du cliché, la prolifération des images du monde entier ont transformé, en quelques décennies, le jamais-vu en trop-vu et conduit au paradoxe d'un ailleurs partout présent. La fraîcheur, la nouveauté, voire l'émerveillement produit par les anciennes photographies, qui incidemment nous permettent de voyager dans le temps, font place à une surdose de clichés qui devient aussi le lot de la carte postale. La photo a usé le monde, et par là même, le voyage. Elle fait partie, également, de ces chaînes niveleuses - la standardisation des moyens de transport, les aéroports et les hôtels «internationaux» partout identiques, les voyages organisés aux itinéraires invariables, l'exotisme passe-partout des prospectus d'agences... qui uniformisent, appauvrissent et falsifient le monde. J'ai parlé d'appropriation; de celle- ci, on passe insensiblement à la conquête : on prend en photo, on braque son appareil comme pour se défendre contre le trop-étranger. Et même si c'est sans violence, cela ne se fait pas impunément; il existe des régions où se faire photographier est devenu une véritable industrie.

(1) prégnante: qui s'imposent a l'esprit, évidentes.
(2) must: terme de mode, emprunté à l'anglais, désignant ici une pratique dictée par le snobisme.
(3) viseur: partie de l'appareil photographique qui sert a cadrer l'image​